Ma génération issue des bouleversements des années 80 ne connaît pas la paix. Si nous l’avons aperçue, sa vision n’a été que fugace, entre deux crises politiques ou affrontements armés. Quand ce ne fut pas les dechoukaj des macoutes ou les coups d’état militaires qui ont suivi, ce fut les pelebruns jonchant les rues ou les victimes immolées dont on sait que l’enquête se poursuivra longtemps. Puis ce fut le spectre d’une occupation de facto, une période troublante d’insécurité où l’on se faisait enlever du jour au lendemain, puis encore une crise civile et politique à l’allure d’une guerre civile où l’on se retrouve tous perdants. Qui lutte contre qui? Et surtout, qui est la véritable victime?
Aujourd’hui, lorsque je porte un regard sur les âmes de mon temps, celles qui comme moi ont vécu certains événements depuis leur plus jeune âge, je sens monter en moi les mots et les émotions que chacun de nous partage. Une fatigue extrême qui mine notre âme, une frustration croissante qui peu à peu se transforme en une violence qui nous consume à petit feu. A trop la comprimer, elle nous dévore de l’intérieur et nous devenons des êtres rongés, fuyant une réalité qui nous fait mal, errant sous d’autres cieux si nous tirons une carte d’exil volontaire, ou survivant au jour le jour dans une réalité qui a tout d’une malédiction.
Ma génération est faite d’êtres angoissés qui s’étourdissent de bruits, de plaisirs fugaces, pour étouffer les cris de la conscience, pour ceux qui en ont une. Nous sommes décus par nos aînés, dont l’exemple ne rejoint en aucune manière les principes et valeurs inculqués à l’enfance. Nous sommes frustrés par leurs attentes que nous prenions la relève pour réparer leurs fautes alors qu’ils ne nous en donnent pas la chance et font tout pour corrompre les meilleures volontés ou les écarter.
Nous sommes horrifiés par la génération qui nous suit car elle a pris la tangente et plutôt que de faire une remise en question, elle s’est automatiquement ajustée au fonctionnement de ce modèle social de plus en plus tordu, et parait sans état d’âmes. L’évolution étant en marche, nous sommes mis à l’index, comme en dehors du temps. A l’inverse de nos aînés, les jeunes nous mettent de côté car nous semblons complètement coupés de la réalité. Nous avons été élevés par les paroles de nos aînés qui ne correspondaient aux actions que nous avions observées. Les plus jeunes ont eu droit à des actions bien plus conformes aux paroles entendues car les gardes fous n’existent plus.
Ma génération porte en elle des revendications silencieuses qui timidement paraissent dans les conversations de salons ou les textes sur la toile. Nous parlons mais n’agissons pas. Nous avons compris peu à peu que les mouvements sociaux où les revendications sont exprimées sont plutôt des plateformes récupérées et utilisées par certains opportunistes pour négocier leurs propres intérêts pour se tailler une place au soleil, puis jetées aux oubliettes.
Nous en avons marre de servir de tremplin. Nous voulons effacer cette violence qui nous consume à petit feu et pouvoir vivre nos vies dans le respect de l’autre, construire une vie selon nos rêves et nos aspirations. Nous voulons pouvoir vivre une vie en accord avec nos valeurs. Nous voulons offrir à nos enfants un avenir qui ne connaîtra pas l’ombre d’une manif aux relents de gaz qui leur laissera un traumatisme dont ils n’ont nul besoin.
Nos générations pourront-elles enfin se retrouver autour d’un objectif et d’un pacte commun? De la bonne volonté? Un désir de voir un meilleur avenir? Un miracle, peut-être …
C’est un très beau texte. Mais par moment, je sens un certain pessimisme portant à croire que l’action serait absente. L’action se passe sous nos yeux au quotidien. Elle est multiforme : artistique, culturelle, de débrouillardise urbaine et rurale, organisationnelle, etc. Mais, notre sens d’observation est brouillé par une éducation passéiste tournée vers l’extérieur.
Partons à la rencontre des paysans et paysannes dans les mornes pour saisir le sens de leur combat quotidien et y apporter un grain de sel. Ces femmes paysannes qui embarquent les produits agricoles sur leurs têtes tous les matins rendent service à la nation, un peu plus qu’un secteur privé préoccupé par ses produits étrangers et les prix des billets d’avion. Ces Madan Sara qui frôlent la mort au quotidien sur les routes délabrées dans des camions vétustes pour mettre dans nos assiettes les rares produits que l’agriculture locale peut encore offrir. Ces groupes d’hommes et de femmes qui peinent à offrir sur le marché des produits issus de l’artisanat, de l’agro-transformation.
Essayons de franchir les murs des quartiers populaires pour rencontres les jeunes et contribuer à amener leurs revendications sur la place publique. A travers leurs peintures, leurs chansons, ils veulent faire passer quelque chose. Ces ouvriers et ouvrières qui crient au secours pour demander un salaire de 500 HTG par jour sont des symboles d’action. Sortons de notre pessimisme et nos conforts pour nous joindre à l’action. Elle se passe actuellement
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Les opinions se rejoignent sur certains points, et diffèrent sur d’autres… Tout en reconnaissant les contributions et en saluant le courage des madan sara, des paysans, et la legitimite des revendications des jeunes, des ouvriers, je reste encore sur ma position. L’action est essentielle, mais il faut la penser en amont, comme en aval. Mon texte peut paraitre defaitiste, pessimiste, il est simplement le resultat d’un constat et la perte de certaines illusions. Bien des choses sont possibles, si … et si…..
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Bon ! Je suis d’accord qu’il faut penser l’action afin d’obtenir de meilleurs résultats. La perte de certaines illusions n’est pas ce qu’il y de plus grave. Les mouvements sociaux de même que les acteurs individuels évoluent en dents de scie. Des acteurs qui à un certains moment incarnaient l’alternative changent de cap à certains moments. On ne peut empêcher cela. Ce qui est le plus grave c’est l’indifférence de la majorité, le fatalisme ambiant, la béatification de la vie dans l’au-delà, la dévalorisation de tout ce qui est national, local et la croyance dans le bonheur en terre étrangère. Nous perdons notre capacité à nous penser comme humains capables d’écrire notre histoire comme d’autres peuples sont en train de le faire. Pour construire ce projet commun dont tu parles il faut d’abord un déclic mental pour nous amener à comprendre qu’il est possible de changer quelque chose. Courage avec ton blog. Su tu cherches un laboratoire d’action écris-moi au jolexca@yahoo.fr.
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