Entre deux mouvements de protestation qui dégénèrent de manière inévitable et en considérant les positions radicalisées pour certains ou conciliantes des autres, que penser du tableau offert par la classe politique dont nous avons héritée après Duvalier? Le dialogue est brandi de part et d’autre comme une arme plutôt qu’un outil pour obtenir le compromis, la paix et le climat de sérénité nécessaire pour un embryon de prospérité ou plutôt pour jeter les bases d’une véritable réforme économique, institutionnelle et sociale. Tout en le souhaitant, il faut être également assez lucide pour saisir les nuances.
Parle-t-on d’un dialogue de sourds, où chacun prétend chercher à joindre l’autre pour avancer ensemble mais en voulant imposer sa propre vision, ou plutôt faire consacrer son autorité en ne reconnaissant pas à l’autre une voix, une opinion ou le symbolisme de ce qu’il représente? Ou bien serait-ce un jeu de mots, fait de sous-entendus et de non-dits, où les échanges verbaux sont ajustés par les négociations à porte close pour garantir la survie et l’alignement opportuniste dont beaucoup ont su faire preuve depuis combien d’années en surfant sur la vague pour se maintenir en place et en jouant sur les humeurs et priorités du moment? Peut être s’agit-il d’un non dialogue, où chacun se reconnaît coq de sa basse-cour, héros vivant capable à lui seul d’apporter le changement, la révolution et le progrès souhaités par tous, seul autorité savante dont il faut accepter le savoir?
Les batailles qui ont conduit à l’indépendance ont montré la nécessité d’une union autour d’une cause commune, mais elles ne nous ont pas appris le dialogue. Entre convaincre un allié d’une situation qui nécessite de faire cause commune et construire une société de principes respectés par tous autour d’objectifs définis en commun, il y a un long chemin. Notre éducation ne nous incite pas à discuter avec l’autre, mais à évoluer dans notre propre bulle et à être des stars en solo. Nos équipes sont construites autour de chefs dont la vision est imposée mais non construite par l’écoute de tous les membres du collectif pour une vision intégrée. Nos leaders n’écoutent pas, ils s’imposent comme un dieu incarné dont la parole doit faire loi et qui n’acceptent aucune compétition ni aucune défaite.
En cas de désaccords, nous ne cherchons pas l’entente, nous préférons la séparation pour former notre propre équipe ou dans un cas extrême, nous détruisons. Combien d’exemples de ce comportement individualiste retrouvons nous aussi bien dans les écoles et les églises qui sont des institutions qui contribuent largement à former le fond des valeurs des individus dans la société haïtienne ? Ou encore dans nos structures politiques où l’appât du gain et le manque d’écoute cause une démultiplication de partis n’ayant aucune base ou aucune assise auprès de la population dont ils prétendent vouloir représenter les idéaux?
Entre l’enclume et le marteau, ne sachant plus à qui donner la palme de modèle à suivre, le citoyen moyen ne peut se résoudre qu’à une seule issue, celle de la survie. Plutôt que de remettre la direction de son destin à des structures vides de sens, il ne se remet qu’à ses propres forces et ce qu’il peut obtenir lui-même par son travail, ses contacts, etc. A côté du taux d’analphabétisme, du manque d’accès aux services, c’est bien ce qui peut expliquer le manque d’implication dans la vie nationale et le detachement de la chose commune. Entre l’enclume et le marteau, il ne reste plus à choisir que le vide….
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